
Dans un contexte où la biodiversité s’érode et où une poignée de multinationales détient le monopole de semences standardisées, voire génétiquement modifiées, l’acte de récolter ses propres graines devient un geste de résistance fertile. Au-delà de l’indépendance vis-à-vis de l’industrie agrochimique, faire ses semences, c’est sauvegarder un patrimoine vivant, adapter ses cultures au changement climatique et renouer avec le cycle complet de la vie au jardin. Ce n’est pas seulement du jardinage, c’est de la sauvegarde de patrimoine.
Pourquoi est-il crucial, en permaculture, de faire ses propres graines ?
- L’économie (Le coût et le budget) : L’achat de semences bio et reproductibles représente un coût non négligeable chaque année. Produire ses graines rend cette ressource gratuite et abondante. C’est un levier direct de rentabilité pour le jardinier vivrier.
- L’adaptation locale (Épigénétique) : C’est l’argument majeur. Une graine récoltée chez vous a « appris » de votre sol, de votre climat et de vos pratiques. D’année en année, elle devient plus résistante et performante dans votre écosystème spécifique.
- L’observation et la sélection personnalisée : Face au pied-mère, le jardinier est maître de ses choix. Il ne sélectionne pas sur des critères de transportabilité (comme l’industrie), mais sur le goût, l’esthétique, ou la vigueur.
- L’abondance et le partage : La nature est généreuse. Un seul plant de laitue monte en graines et en fournit des milliers. Cette surabondance permet de créer du lien social : on échange, on donne, on troque, renforçant ainsi la résilience de la communauté locale.
La sélection des plantes mères : Le secret de la sélection massale
C’est ici que le jardinier devient un « obtenteur ». Il ne suffit pas de récolter ce qui reste à la fin de la saison, il faut choisir l’élite.
Qu’est-ce que la sélection massale ?
C’est la méthode ancestrale qui a permis la domestication des plantes. Contrairement à la sélection génétique moderne (qui isole des gènes en laboratoire), la sélection massale consiste à repérer, dans une population de plantes, les individus les plus performants et à ne garder que leurs graines pour le semis suivant. Au fil des années, la variété s’améliore globalement tout en conservant une diversité génétique interne.
Les critères de choix du pied-mère
Il faut observer les plantes tout au long de leur cycle et marquer (avec un ruban) celles qui répondent aux critères suivants :
Sanitaire : La plante doit être indemne de maladie (virus, champignons). On ne récolte jamais sur une plante malade pour ne pas transmettre la pathologie.
Résistance aux ravageurs : Choisir le plant qui a mieux résisté aux limaces, pucerons ou autres insectes que ses voisins.
Résilience climatique : Dans un contexte de changement climatique, privilégiez les plants qui ont survécu à la canicule sans arrosage excessif ou qui n’ont pas gelé précocement.
Conformité variétale : Le plant doit bien représenter sa variété (forme, couleur, goût).
Préserver la richesse génétique et éviter la dégénérescence
Pour garder une variété vigoureuse, il ne faut pas appauvrir son patrimoine génétique.
L’effet de goulot d’étranglement : Si vous récoltez les graines d’un seul fruit sur un seul pied, vous limitez la diversité.
La règle du nombre : Pour la plupart des légumes (allogames surtout), il est conseillé de récolter des graines sur plusieurs porte-graines différents (minimum 6 à 12 pour le maïs ou les choux, par exemple) et de les mélanger. Cela maintient la diversité génétique intraspécifique nécessaire à l’adaptation future.
Éviter les hybridations non désirées
Les plantes se reproduisent de deux manières principales. Il est crucial de connaître le mode de reproduction de vos légumes.
Les plantes autogames (se fécondent elles-mêmes) : Tomates, haricots, pois, laitues. Le risque d’hybridation est faible. On peut cultiver différentes variétés côte à côte.
Les plantes allogames (fécondation croisée par le vent ou les insectes) : Courges, choux, maïs, carottes.
Le risque :
Si vous plantez une courge Butternut à côté d’une Musquée de Provence, les abeilles vont croiser les pollens. Les fruits seront normaux cette année, mais les graines donneront des fruits hybrides l’année suivante (souvent immangeables ou moins bons).
La solution : Respecter des distances d’isolement (parfois plusieurs centaines de mètres) ou pratiquer la pollinisation manuelle (fermer la fleur femelle avant et après fécondation).
Le piège des hybrides F1 et les lois de Mendel
Le cas des graines F1
Les sachets vendus avec la mention « F1 » contiennent des semences de première génération issues du croisement de deux lignées pures distinctes.
Avantage commercial : Vigueur hybride exceptionnelle, uniformité parfaite.
Inconvénient majeur : Elles sont stériles ou instables. Si vous ressemez une graine issue d’un fruit F1, vous n’aurez pas la même plante.
Les lois de Mendel (Hérédité)
Selon les lois de la génétique mendélienne, la génération suivante (F2) va « disjoncter ». Les caractères vont se séparer de manière aléatoire. Vous obtiendrez un mélange hétéroclite : certains plants ressembleront au grand-père maternel, d’autres à la grand-mère paternelle, et d’autres seront des mélanges bizarres. En permaculture, on cherche la stabilité : évitez les F1 pour faire vos semences.
Le retour atavique
Parfois, la plante dégénère vers des caractères ancestraux sauvages (l’atavisme).
Exemple : Une carotte qui se croise avec une carotte sauvage (fréquente dans les prés) donnera une racine blanche, dure et fibreuse. La plante « retourne » à son état sauvage.
Quand et comment récolter ?
La récolte pour la semence est souvent plus tardive que la récolte pour la consommation.
Maturité de consommation vs Maturité physiologique :
On mange le concombre, la courgette ou le haricot vert quand ils sont immatures.
Pour la graine, il faut attendre la surmaturité. Le concombre doit être jaune et mou, le haricot sec dans sa cosse, la courgette énorme et dure comme du bois.
Pour les tomates ou melons : maturité de consommation = maturité de graines.
Le cycle de vie
Annuelles (Tomates, maïs, haricots) : Produisent des graines la même année que le semis.
Bisannuelles (Carottes, betteraves, choux, oignons, poireaux) : Elles font des réserves (la racine) la première année, passent l’hiver, et fleurissent la deuxième année. Il faut donc laisser les racines en terre (ou les hiverner en cave) pour récolter les graines l’année suivante.
Le moment de la journée
Toujours par temps sec ! L’humidité est l’ennemi. Récoltez en fin de journée, quand la rosée s’est évaporée, après plusieurs jours de beau temps.
La conservation et le test de germination
Conservation
– Séchage : C’est l’étape clé. Les graines doivent être parfaitement sèches avant stockage.
– Stockage : Au frais, au sec et à l’obscurité. Le réfrigérateur est idéal (dans un bocal hermétique), sinon une pièce fraîche.
– Étiquetage : Nom de la variété, date de récolte, lieu.
Comment connaître le pouvoir germinatif ?
Si vous avez de vieilles graines, faites un test avant de semer tout votre jardin :
- Prenez 10 ou 20 graines.
- Placez-les entre deux feuilles de papier absorbant humide (ou coton).
- Mettez le tout dans une assiette couverte (au chaud, environ 20 °C).
- Après quelques jours/semaines : comptez les germes. Exemple : Si 5 graines sur 10 germent, vous avez un taux de 50 %. Il faudra semer deux fois plus dense.
Existe-t-il une législation ?
La législation française a longtemps été restrictive, mais elle s’est assouplie en 2020. Voici les points clés et les textes de référence.
Les principes pour l’amateur
Production pour soi-même : Vous avez une liberté totale. Aucune loi ne vous interdit de reproduire n’importe quelle graine (même F1, même protégée) tant que c’est pour votre usage personnel et privé dans votre jardin.
Échange et don : L’échange gratuit entre jardiniers amateurs est autorisé. C’est la base de la préservation de la biodiversité domestique.
Vente aux amateurs : Depuis juin 2020, la vente de semences de variétés du domaine public (non inscrites au catalogue officiel) est autorisée à destination des jardiniers amateurs.
Pour aller plus loin, les textes officiels qui encadrent ces pratiques en France :
- Article L661-8 du Code rural et de la pêche maritime : C’est l’article fondamental. Modifié récemment, il stipule :
« La cession, la fourniture ou le transfert, réalisé à titre gratuit ou à titre onéreux de semences […] à des utilisateurs finaux non professionnels ne visant pas une exploitation commerciale de la variété n’est pas soumis aux dispositions du présent article [obligation d’inscription au catalogue], à l’exception des règles sanitaires relatives à la sélection et à la production. » - Loi n° 2020-699 du 10 juin 2020 : Intitulée « relative à la transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires », cette loi a entériné la possibilité de vendre des semences paysannes aux amateurs, légalisant ainsi l’activité de nombreuses associations et artisans semenciers qui opéraient dans une zone grise.
Arrêté du 25 juin 2020 : Relatif à la commercialisation des semences de légumes, il précise certaines modalités techniques, mais confirme l’ouverture du marché amateur aux variétés « sans valeur intrinsèque pour la production commerciale » (variétés de conservation).






