Le feu bactérien est une maladie foudroyante qui, comme son nom l’indique, donne aux plantes infectées un aspect « brûlé ». Contrairement au mildiou ou à l’oïdium, il n’est pas causé par un champignon, mais par une bactérie.
En permaculture, la gestion du feu bactérien est à 99% préventive. Elle repose sur le choix stratégique des espèces et variétés, le renforcement de l’écosystème global et une hygiène irréprochable. L’apparition du feu bactérien dans un jardin est une urgence absolue qui impose des mesures drastiques pour protéger non seulement son propre jardin, mais aussi ceux des voisins et l’environnement alentour.
Un peu d’histoire : De New York aux Ravages en France :
Le feu bactérien (causé par Erwinia amylovora) est une maladie qui a marqué l’histoire de l’arboriculture mondiale. Son parcours est celui d’une bactérie « exotique » devenue un fléau international.
Les Origines Américaines :
Les premières observations crédibles du feu bactérien remontent à 1780 dans la vallée de l’Hudson, près de New York (États-Unis). Les agriculteurs locaux décrivent une maladie mystérieuse qui brûle littéralement les poiriers. À l’époque, on ne sait pas qu’il s’agit d’une bactérie.
Il faudra attendre 1880 pour que T.J. Burrill, un botaniste de l’Illinois, identifie pour la première fois une bactérie comme agent causal d’une maladie végétale, et ce, précisément avec Erwinia amylovora. C’est une découverte majeure en phytopathologie.
La maladie est alors cantonnée au continent nord-américain pendant près de deux siècles, où elle cause des dégâts considérables sur les vergers de pommiers et poiriers. Les variétés européennes importées y sont souvent très sensibles.
L’Expansion Européenne : L’Invasion Silencieuse (Années 1950-1960)
La première détection du feu bactérien en Europe a lieu en Angleterre en 1957. Il est probable qu’il ait été introduit via des porte-greffes ou du matériel végétal contaminé en provenance d’Amérique du Nord, malgré les mesures de quarantaine.
À partir de l’Angleterre, la maladie va progressivement s’étendre à travers l’Europe. Les espèces ornementales très sensibles (Pyracantha, Cotoneaster, Aubépine) jouent un rôle majeur dans cette dissémination, servant de « réservoirs » pour la bactérie et permettant sa propagation discrète.
L’Arrivée en France : Les Premiers dégâts (1970)
Première Détection Officielle : Le feu bactérien est identifié pour la première fois en France en 1972, dans le département des Deux-Sèvres (région Poitou-Charentes). Il s’agit d’une souche venue d’Angleterre.
Au début, la maladie progresse relativement lentement, mais elle finit par s’implanter durablement dans différentes régions. Les années 1980 et 1990 voient une progression constante, notamment dans les zones où la culture de poiriers est intense et où les haies sont riches en espèces hôtes (aubépines, pyracanthas).
Les Grands Ravages en France : Les Années Noires (Fin des Années 1990 – 2000)
La fin des années 1990 et le début des années 2000 sont marqués par des épidémies d’une ampleur sans précédent en France. Des régions entières, très dépendantes de la production fruitière (vallée du Rhône, Val de Loire, Sud-Ouest), sont dévastées.
Des milliers d’hectares de vergers de poiriers et de pommiers sont arrachés et brûlés. Des pépinières sont décimées. Les pertes économiques sont colossales, et de nombreux arboriculteurs sont ruinés.
Mesures Drastiques : Déclaration Obligatoire :
Face à l’ampleur de la catastrophe, les autorités françaises mettent en place des mesures de lutte réglementaires très strictes.
Toute suspicion doit être signalée aux services de l’État (SRPV, puis SRAL).
L’Afrique aussi touchée :
En 2011 apparut le feu bactérien, il arrive en Tunisie. La maladie se propage très rapidement et décime les vergers de poiriers. En 2013, le feu bactérien a ravagé entre 5 000 et 6 000 ha sur les 8 400 ha qu’occupait la culture du poirier au niveau national. Il est possible d’affirmer que cette maladie ait ravagé au total entre 5 000 et 6 000 ha de poiriers. la production a été ainsi réduites de 78%à cause de l’infection au feu bactérien. (source)
Les « cryptogames » responsables
Comme mentionné plus haut, ce n’est pas un champignon (cryptogame). L’agent pathogène est une bactérie :
Erwinia amylovora
Cette bactérie pénètre la plante par des « portes d’entrée » naturelles (principalement les fleurs, mais aussi les stomates) ou par des blessures (taille, grêle, piqûres d’insectes). Une fois à l’intérieur, elle se multiplie à grande vitesse et voyage dans le système vasculaire (le xylème et le phloème) de la plante, provoquant un dépérissement rapide.
Les périodes de l’année les plus favorables
Le feu bactérien est une maladie de chaleur et d’humidité survenant à un moment précis :
- Période : Pleine floraison des arbres sensibles (pommier, poirier, etc.).
- Température : Températures douces à chaudes, supérieures à 18°C-20°C. La bactérie se multiplie très lentement en dessous de 15°C.
- L’humidité permet à la bactérie de se multiplier dans le nectar des fleurs et de former un « exsudat » (voir symptômes). Les insectes pollinisateurs (abeilles, bourdons) deviennent alors les principaux vecteurs, transportant la bactérie de fleur en fleur et contaminant tout un verger en quelques heures.

Les plantes les plus sensibles et les parties atteintes
Le Botrytis cinerea est extrêmement polyphage (il attaque plus de 200 espèces).
Plantes les plus sensibles :
- Poirier (certaines variétés comme ‘Passe-Crassane’, ‘Conférence’)
- Cognassier (très sensible)
- Pyracantha (Buisson ardent)
- Cotonéaster (plusieurs espèces très sensibles)
- Aubépine (Crataegus)
- Néflier (Mespilus)
Plantes sensibles (mais variables selon les variétés) :
- Pommier (certaines variétés comme ‘Gala’ ou ‘Golden’ sont plus sensibles que des variétés résistantes comme ‘Florina’ ou ‘Topaz’).
- Sorbier (Sorbus)
Parties de la plante les plus atteintes :
- Les fleurs : C’est la porte d’entrée. Elles se flétrissent, noircissent, comme si elles étaient gelées ou brûlées.
- Les jeunes pousses (rameaux de l’année) : C’est le symptôme le plus visible. (la fameuse crosse, voir l’illustration)
- Les branches charpentières et le tronc : La maladie progresse vers le bas. L’infection du tronc est fatale.
- Les fruits : Les jeunes fruits noircissent, se momifient et restent attachés à l’arbre.
Les symptômes
Les symptômes sont uniques et ne doivent pas être confondus (par exemple avec la moniliose).
La « Crosse de Berger » : C’est le symptôme le plus caractéristique. La jeune pousse infectée se flétrit, noircit (couleur brun-noir) et se recourbe en crochet (comme une crosse).
L’Aspect Brûlé : Les feuilles et les fleurs touchées noircissent rapidement mais restent attachées à la branche (contrairement au gel). L’arbre semble avoir été brûlé au chalumeau.
L’Exsudat Bactérien : Par temps humide, des gouttelettes d’un liquide collant, laiteux ou ambré, perlent sur les parties infectées (rameaux, chancres). Cet exsudat est un concentré pur de bactéries, extrêmement contagieux.
Les Chancres : Sur le bois plus âgé (branches, tronc), la maladie forme des zones déprimées, sombres, parfois boursouflées, avec une écorce qui suinte. Le bois sous l’écorce prend une teinte brun-rougeâtre, marbrée.
L’urgence, les bons réflexes du jardinier
L’urgence est MAXIMALE car c’est une maladie qui peut réduire à néant un verger. La contagion est explosive : Un arbre peut contaminer un verger entier en une saison.
C’est une maladie de quarantaine : Sa propagation est si rapide qu’elle doit être signalée aux autorités sanitaires végétales (Service Régional de l’Alimentation – SRAL) dans les zones réglementées.
Les bons réflexes (ils sont drastiques, il n’y a pas le choix) :
Les bons réflexes immédiats :
- Etablir un diagnostic formel : Être certain (crosse + exsudat = forte suspicion).
- Isolement : Ne toucher aucun autre arbre après avoir inspecté l’arbre malade.
- Si le tronc est atteint, l’arbre est condamné. Il doit être arraché et détruit.
DESTRUCTION IMMÉDIATE :
Ne jamais composter ou broyer les parties malades.
La seule solution est l’incinération sur place (si autorisé) ou l’évacuation en sac hermétique vers une filière de déchets verts professionnelle capable de gérer ce risque (incinération).
Les traitements biologiques ou naturels
Soyons clairs : il n’existe AUCUN traitement curatif efficace contre le feu bactérien. Tous les traitements sont préventifs.
Si l’attaque est très limitée :
Supprimer la partie atteinte.
Préparer un sécateur et un désinfectant puissant (alcool à brûler, eau de Javel diluée à 10%).
Opérer UNIQUEMENT PAR TEMPS TRÈS SEC ET CHAUD. L’humidité favorise la propagation.
Il faut couper très loin en dessous de la zone atteinte. La règle est de couper de 30 cm à 60 cm dans le bois parfaitement sain.
Désinfecter l’outil (lame) ENTRE CHAQUE COUPE. C’est impératif !
L’Amputation ou l’Arrachage (si l’attaque est avancée) :
Si une branche charpentière est atteinte, elle doit être supprimée entièrement.
Si le tronc est atteint, l’arbre est condamné. Il doit être arraché et détruit.
La Bouillie Bordelaise (Cuivre) :
Pulvériser au début du printemps (juste avant la floraison, au stade « débourrement » ou « gonflement des bourgeons »).
Cela réduit la population de bactéries Erwinia qui hivernent sur l’écorce, pour diminuer la pression de la maladie avant que les fleurs ne s’ouvrent.
Mais c’est inefficace une fois la maladie déclarée.
Bacillus subtilis :
Déjà mentionné pour d’autres Maladies (botrytis par ex) . Pulvérisation pendant la floraison.
Le Bacillus (bénéfique) colonise le pistil de la fleur plus vite que Erwinia (pathogène) et lui « prend la place », l’empêchant de s’installer.
L’Alun (Sulfate d’aluminium et de potassium) :
Parfois utilisé (en poudrage ou badigeon) sur les plaies de taille pour ses propriétés astringentes et bactériostatiques.
La prévention en permaculture (focus sur la propagation)
La propagation se fait par les insectes (abeilles…), la pluie (éclaboussures), le vent et les outils. La prévention est la seule stratégie viable.
L’Hôte Sensible
La solution « permacole » :
Refuser de planter les variétés connues comme « très sensibles » (ex: poirier ‘Passe-Crassane’, Pyracantha ‘Orange Glow’). Privilégier les variétés résistantes ou tolérantes : De nombreuses variétés de pommiers (‘Florina’, ‘Topaz’, ‘Liberty’, ‘Ariane’) et de poiriers (‘Harrow Delight’, ‘Harrow Sweet’, ‘General Leclerc’ – tolérant) existent. Se renseigner sur les variétés locales adaptées.
Les Portes d’Entrée (Fleurs et Pousses tendres)
La solution « permacole » :
- Éviter l’excès d’azote : C’est crucial. Un excès d’engrais (ou de purin d’ortie trop fréquent) produit des pousses « herbacées », molles, gorgées d’eau, qui sont des autoroutes pour la bactérie. On recherche une croissance équilibrée, pas une explosion de feuillage.
- La Taille : Ne jamais tailler les arbres sensibles au printemps ou en été (sauf urgence sanitaire). La taille se fait en hiver (dormance), par temps sec, quand la bactérie est inactive.
- Nettoyage d’hiver : Inspecter les arbres et supprimer les chancres ou fruits momifiés qui pourraient héberger la bactérie.
L’environnement de la parcelle
L’aubépine sauvage, les sorbiers, ou les pyracanthas et cotoneasters dans les haies peuvent être des porteurs sains ou des réservoirs.
Inspecter l’environnement de la parcelle. Un design des bordures et lisières évitera d’y inclure des cotoneasters ou pyracanthas si on a un verger de poiriers à côté.







