L’image du sol fraîchement retourné, brun et nu, a longtemps été le symbole du travail bien fait au jardin comme au champ. Dans l’imaginaire collectif, « travailler la terre » est synonyme de la retourner. Pourtant, depuis quelques décennies, l’essor de la permaculture, de l’agroécologie et du Maraîchage sur Sol Vivant (MSV) vient bousculer ce dogme.
En jardinage biologique moderne, le sol n’est plus considéré comme un simple support inerte qu’il faut aérer mécaniquement, mais comme un écosystème complexe et vivant. Dès lors, le labour (retournement des horizons du sol) est-il une nécessité agronomique ou une habitude inconsidérée ?

L’Histoire du labour : Pourquoi a-t-on commencé ?

Pour comprendre le labour, il faut remonter à ses origines.

  • L’Araire (Antiquité) : Initialement, l’homme utilisait l’araire, un outil tracté par des animaux qui scarifiait le sol sans le retourner. L’objectif était de créer un sillon pour la semence.
  • La Charrue à soc (Moyen-Âge) : L’invention du soc et du versoir a permis de retourner la bande de terre. C’était une révolution pour les sols lourds et argileux de l’Europe du Nord.
  • But principal : Enfouir les « mauvaises herbes » et le fumier, et minéraliser la matière organique (libérer l’azote) pour un effet « coup de fouet » sur les cultures.
  • La Mécanisation (XXe siècle) : Avec l’arrivée des tracteurs puissants, les labours sont devenus de plus en plus profonds (30 cm et plus), accentuant les impacts sur la structure du sol.
  • La remise en cause (XXIe siècle) : Face à l’érosion massive, la baisse de fertilité et le réchauffement climatique, des techniques sans labour (Semis Direct, TCS) émergent pour protéger le capital sol.

Posez cette bêche n’est pas une lubie de bobos ! Un changement de paradigme fondé.

Il est crucial de souligner que l’arrêt ou la réduction du labour n’est pas une simple tendance « bobo » ou un effet de mode passager. Cette remise en question s’appuie sur des décennies de recherches agronomiques solides (menées notamment par l’INRAE en France).
L’avancée des technologies d’observation (microscopes électroniques, analyses génétiques du sol) a révélé l’immense complexité de la vie microbienne que le labour perturbe. L’Agriculture de Conservation des Sols (ACS) et le Maraîchage sur Sol Vivant (MSV) ne sont pas des retours en arrière nostalgiques, mais représentent une technicité supérieure, basée sur une compréhension fine des cycles du carbone et de l’azote. Ce n’est pas une idéologie, c’est de la microbiologie.

Non ! le labour comme seule alternative, la preuve ! Au-delà du labour le sol vivant.

Point par point des idées reçues et des réalités agronomiques concernant le retournement du sol.

Affirmation Verdict Commentaire et Analyse
Le labour déstocke le carbone du sol (Réchauffement climatique)
VRAI…MAIS…

Le sol est un immense puits de carbone (humus). En labourant, on injecte massivement de l’oxygène dans le sol. Cela provoque une « combustion » rapide de la matière organique par les bactéries (minéralisation explosive). Le carbone stocké est alors relâché dans l’atmosphère sous forme de CO2. Ne pas labourer aide à séquestrer le carbone.

De nombreux travaux, remettent en cause l’importance du travail du sol sur le stockage possible de carbone. (source)

Le labour favorise l’érosion des sols
VRAI
Un sol labouré est un sol nu et déstructuré. Sans couverture végétale ni racines pour retenir la terre, et sans le « ciment » produit par les champignons, la terre est emportée par le vent (érosion éolienne) ou la pluie (érosion hydrique/lessivage). C’est la cause majeure de la perte de terres arables.
Le labour tasse le sol
VRAI
Si le labour aère le sol en surface (temporairement), il le compacte en profondeur. Le poids des engins et l’action du soc lissent le fond de la raie de labour, créant une zone imperméable et dure appelée « semelle de labour ». Cela empêche les racines de descendre et l’eau de s’infiltrer.
Le labour impacte la vie des micro-organismes
VRAI
Le sol est organisé en couches : les bactéries aérobies (besoin d’air) vivent en surface, les anaérobies en profondeur. Le labour inverse tout : il tue les aérobies en les enfouissant et tue les anaérobies en les exposant à l’air. De plus, il déchire les réseaux de mycélium (champignons) indispensables aux échanges nutriments/plantes.
Le labour impacte la vie des vers de terre
VRAI
C’est une catastrophe pour eux. Le labour tue mécaniquement (coupe) une partie des vers, mais surtout, il détruit leur habitat (galeries) et les expose aux prédateurs (oiseaux) et aux UV. Or, les vers sont les « laboureurs naturels » qui aèrent le sol gratuitement et en douceur.
La destruction des adventices est un atout du labour
VRAI et FAUX
  • Vrai à court terme : Il enterre les herbes existantes, faisant place nette.
  • Faux à long terme : Il remonte à la surface des graines de « mauvaises herbes » dormantes qui étaient enfouies profondément. Celles-ci germent dès qu’elles voient la lumière. C’est un cercle vicieux : plus on laboure, plus on réveille le stock semencier.
Le labour permet au gel de détruire des larves d’insectes nuisibles.
VRAI…MAIS…
  • En exposant la terre au gel hivernal, on tue effectivement certaines larves (taupins, vers gris). C’est une méthode de prophylaxie.
  • Le bémol : Le gel tue aussi les insectes auxiliaires (carabes, staphylins) qui régulent naturellement les ravageurs. On déséquilibre la biodiversité.
Meilleurs rendements avec le labour ?
FAUX
Sur le long terme : Le labour provoque une minéralisation rapide (effet dopant). Mais à force, le sol perd sa matière organique et devient stérile (« terre morte »). Pour maintenir les rendements, il faut alors compenser par des engrais chimiques coûteux.
Une pratique chronophage et plus coûteuse ?
VRAI
Retourner la terre demande une énergie considérable (carburant pour le matériel ou calories/effort physique pour le jardinier à la bêche). Les techniques de sol vivant (paillage), aération à la grelinette, demandent moins d’efforts une fois en place.

Les Alternatives : Les Outils du Sol Vivant

Si l’on arrête de labourer, comment préparer le sol ? L’objectif est de passer de la « destruction de structure » à la « structuration biologique ».

La Grelinette (ou Aérobêche) : certainement la plus utiliser au jardin bio en permaculture.

Inventée par André Grelin, c’est l’outil emblématique de la permaculture.
Le Principe : Il s’agit d’une fourche large à deux manches latéraux. On l’enfonce dans le sol, on tire les manches vers soi pour soulever la motte, puis on secoue légèrement latéralement.
Pourquoi l’utiliser ?
Respect des horizons : Elle soulève et aère la terre sans la retourner. Les bactéries de surface restent en surface, celles de profondeur restent en profondeur.
Préservation du dos : L’utilisateur garde le dos droit. C’est le principe du levier qui travaille, pas les lombaires du jardinier.
Efficacité : On travaille une largeur de 30 à 50 cm à la fois, ce qui est beaucoup plus rapide qu’une bêche classique.

La Campagnole

C’est une évolution de la grelinette, souvent utilisée en maraîchage professionnel ou par les jardiniers avertis.
Le « + » technique : Elle possède des roues et des contre-dents. Une fois la terre soulevée, les contre-dents brisent les mottes.
Avantage : Elle permet d’affiner le lit de semence en un seul passage, sans avoir besoin de passer le croc ou le râteau ensuite.

Le Paillage (Mulching) : pas un outil une méthode !

Le meilleur outil est parfois celui qu’on n’utilise pas.
En couvrant le sol en permanence (paille, foin, feuilles mortes, BRF), on nourrit la vie du sol (vers de terre) qui se charge de remonter la terre et de l’aérer pour nous. C’est le principe du « non-agir » ou du « travail biologique ».

Conclusion

Le labour n’est pas une pratique « maléfique » par essence, mais une technique héritée d’une époque où la biologie des sols était inconnue. Aujourd’hui, la science nous montre que le sol se construit par le haut (comme en forêt), et non par le bas.
Adopter la grelinette et le paillage, c’est accepter de collaborer avec le vivant plutôt que de lutter contre lui. La transition peut prendre un peu de temps (le sol doit se reconstituer une structure), mais le résultat est un jardin plus résilient, moins gourmand en eau et beaucoup plus fertile.

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